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June

Dans la peau d’un critique de spectacles #2

Après leur travail d'écriture sur L'isola disabitata de Haydn, nous retrouvons les élèves de première du lycée Charles de Gaulle qui se sont essayés à l'exercice de critique de spectacles pendant l'année 21 | 22 aux côtés du journaliste Guillaume Malvoisin ! (Relire l'épisode #1 )

Alors que l'opéra Julie faisait couler l'encre le mois dernier dans la presse, les élèves ont eux aussi couché sur papier leurs impressions autour de l'œuvre de Philippe Boesmans, mise en scène par Silvia Costa et dirigée par le chef d'orchestre Enrico Pomarico. Pour cet exercice, ils étaient cette fois-ci encadrés par le journaliste Jean-Luc Clairet, critique sur ResMusica.com

Nous vous proposons une sélection de leurs écrits, qui entreront peut-être en résonance avec vos impressions de spectateurs.

Bonne lecture, et bravo à chacun des rédacteurs !

(Bonus : Florilège d'articles de presse à propos de Julie : Les InrocksResMusica, ForumoperaLe Monde, Anaclase)

Une mise en scène exceptionnelle au service du néant — Mathis L.

“Boum Boum, Boum Boum” - Non, ce ne sont pas les pulsations de mon cœur qui résonnaient au rythme des percussions de l’orchestre, mais bien une mise en scène de l’incroyable Silvia Costa. Ce procédé de focalisation interne qui a ouvert l’opéra permet de créer un spectacle in medias res et m’a ainsi permis de rentrer immédiatement dans cette œuvre. Néanmoins, je dirais que cette mise en scène cherchait à stimuler la vue avant l’ouïe ; les chants et la musique, bien que très bons, n’étaient, à mon goût, qu’un prétexte pour illustrer les choix de la metteuse en scène. 

L’œuvre est ainsi placée sous le signe de la danse et du mouvement. On a, non seulement, une danseuse, Marie Tassin (Julie qui danse) mais aussi un acrobate, Gianni Illaquer. Les interprètes valsaient, mais la valse était aussi dansée par le décor ; avec la table qui glissait, avec le cercle, sur lequel les assiettes étaient pendues, qui tournait, avec les murs qui se mouvaient. Mme Costa, qui menait la danse, a aussi peint un spectacle avec une palette de couleurs manichéennes, qui joue sur l’opposition des deux couleurs qui la constituaient : le noir et le blanc. Ce contraste, comme pour la danse, s’applique tout d’abord au décor, permettant ainsi d’instaurer un cadre neutre, abstrait donc sans limite, mais aussi d’ancrer l’esthétique de la mise en scène dans celle d’Hitchcock, dont l’influence est très présente. Les tenues des personnages étaient aussi sujettes à cette binarité des couleurs, comme les tenues portées par Julie : une robe noire qui illustre sa puissance au début, et son habit blanc immaculé puis son poudrage blanc, symbolisant la mort du personnage éponyme. Ce poudrage m’a fortement rappelé celui de la Marquise de Merteuil, au moment de sa mort sociale, durant la scène finale de l’adaptation cinématographique de Stephen Fears du roman de Laclos, Les Liaisons Dangereuses. On peut d’ailleurs relier la galanterie de Julie envers un homme fiancé, aux jeux libertins de la marquise ou bien encore au topos opératique du Don-Juanisme, qui a été, ici, revisité de façon plus moderne, notamment à travers l’inversion des genres. 

Ainsi, la forme qu’a pris l’opéra, d’après Mademoiselle Julie d’August Strindberg, m’a réellement séduite ; toutefois, je trouve dommage, que le fond reste superficiel, voir vide. L’excellente mise en scène de Silvia Costa, pour une intrigue inexistante ; transformant la fraîcheur des choix scéniques, en une chaleur pesante ; faisant du meilleur spectacle, le meilleur somnifère. 

Danses et tragédie à la nuit de Saint-Jean — Kristina M.

Question de bière ou de vin. Une œuvre du compositeur belge Philippe Boesmans et mise en scène par Silvia Costa. Une pièce en un seul acte qui se passe dans le château d’un comte, au XIXe siècle, à la veille de la nuit de la Saint-Jean. On y retrouve trois personnages dans la cuisine, la domestique Kristin et son fiancé Jean, valet du comte et puis Julie, fille du comte. S’installe alors un jeu de séduction entre Julie et Jean, tous deux essayant de s’adapter à la condition de chacun, qui danseront et passeront la nuit ensemble après que Kristin s’est endormie. Et c’est pourtant en une heure qu’on assiste au tragique suicide de Julie.

C’est donc une pièce que j’ai trouvée intéressante sur le plan social, on nous expose un sujet qui à l’époque constituait un tabou, une relation interdite entre deux personnages de classes sociales différentes. Mais l’étroitesse du décor, l’obscurité, des mouvements et une mise en scène qui s’apparentent plutôt à un numéro de prestidigitateur qu’à une pièce d’opéra. En effet, cette obscurité, les couleurs sombres, la sonorité et la trop grande variété des instruments qui montaient beaucoup dans les aigus, rendaient une ambiance lugubre voire occulte. Kristin, une soprano m’a toutefois touchée, une voix qui transpirait l’innocence et la bonté selon moi.